Maison de Mme V
Maison de Mme V

A gauche, la maison de Mme V.

L’affaire défraie la chronique : une habitante de Meurthe-et-Moselle, Sarah R., est condamnée à démolir l’extension de sa maison principale, du fait que cette dernière prive sa voisine de soleil. La voisine, Sylviane V., vient de l’assigner au tribunal de grande instance de Nancy, afin de faire liquider l’astreinte de 50 euros par jour de retard qui accompagnait sa condamnation.
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En 2010, Mme R. obtient un permis de construire, afin d’édifier une deuxième construction à l’arrière de son pavillon; cette veuve, aide-soignante, entend la louer afin de financer les étude de ses enfants.
En 2010, lorsque la construction commence, en limite de propriété, sa voisine lui demande de s’arrêter au rez-de-chaussée, mais Mme R. ne répond pas. En 2011, lorsque la construction est terminée, la voisine saisit le juge des référés du tribunal de grande instance de Nancy, en se plaignant d’un trouble anormal de voisinage caractérisé par une perte importante d’ensoleillement.

Le tribunal désigne un expert judiciaire. Celui-ci constate que l’ensoleillement dont bénéficiait la propriété de Mme V est fortement diminué; « Cette perte de luminosité importante est perçue dès le début de l’après-midi, mais principalement en milieu d’après-midi et en fin de journée au soleil couchant ; à partir de 14 heures, le mur pignon de la nouvelle construction porte ombre sur la propriété voisine jusqu’au coucher du soleil, ce phénomène étant accentué au moment du solstice d’hiver. »
Il conclut que la dépréciation du fonds de Mme V. peut être estimée « de 60 à 70 % ».

Mme V. assigne Mme R. au fond, pour obtenir la démolition de la construction, ou au moins de son premier étage, et le paiement de dommages et intérêts. Le 25 avril 2014, le tribunal de grande instance de Nancy ordonne la démolition entière du pavillon, et condamne Mme R. à payer 4 000 euros de dommages et intérêts à sa voisine, en réparation des troubles subis.
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. Démolition confirmée
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Mme R. fait appel. Elle se réfère à un rapport technique établi par un architecte expert près la cour d’appel de Nancy, pour dire qu' »une perte d’ensoleillement et de luminosité ne peut être objectivement appréciée que par le recours à des investigations par métrologie graphique avec simulations et modélisation ».

La partie adverse produit donc une étude d’ensoleillement établie par un cabinet de géomètres-experts, qui conclut: « Nous constatons qu’il n’y a pas de perte d’ensoleillement les trois premières semaines du mois de janvier et en décembre. Cela paraît évident puisque le soleil est au plus bas durant cette période. Avec ou sans la nouvelle construction, il n’y a pas d’ensoleillement durant cette période. (…) Nous constatons une perte moyenne de dix minutes tous les cinq jours de fin janvier à fin juin. Fin juin, la perte maximale de 6 heures 50 est atteinte. Cela correspond au solstice d’été. La perte diminue ensuite d’une moyenne de dix minutes tous les cinq jours jusqu’à la fin novembre. »

La cour d’appel de Nancy juge que cette étude corrobore les constatations de l’expert judiciaire. Le 29 juin 2015, elle confirme le jugement de première instance. La démolition devra se faire dans les six mois qui suivront la signification du jugement. Le délai expirait le 14 février, date à partir de laquelle l’astreinte commençait à courir pour une durée initiale de trois mois, c’est-à-dire jusqu’au 14 mai.

Mme R. ne s’est pas exécutée. Dans son assignation, l’avocat de Sylviane V., Me Gérard Vivier demande la liquidation de l’astreinte provisoire, ainsi que la fixation d’une astreinte définitive de 80 euros, à compter du 15 mai.

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. Et pourtant, il y avait un permis de construire !
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Certains se demanderont pourquoi le juge civil a pu ordonner la démolition d’une construction qui avait obtenu de l’administration un permis de construire en bonne et due forme. La réponse se trouve dans le code de l’urbanisme (article A424-8 ) :
« Le permis est délivré sous réserve du droit des tiers : il vérifie la conformité du projet aux règles et servitudes d’urbanisme. Il ne vérifie pas si le projet respecte les autres réglementations et les règles de droit privé. »
Il ne vérifie pas, par exemple, si l’immeuble aura une vue plongeante chez un voisin, en violation, notamment de l’article 678 du code civil.

Toute personne s’estimant lésée par la méconnaissance du droit de propriété ou d’autres dispositions de droit privé peut donc saisir les tribunaux civils, même si le permis respecte les règles d’urbanisme. Elle dispose de cinq ans, à compter de la construction, pour agir.

Il ne peut lui être opposé de ne pas avoir agi contre le permis de construire. La Cour de cassation a ainsi sanctionné (entre autres) la cour d’appel d’Amiens, le 20 juillet 1994, pour avoir déclaré irrecevable la demande de démolition d’un hangar; elle avait reproché aux requérants de ne pas avoir fait de recours contre le permis de construire du hangar, devant la juridiction administrative.

la suite de l'article: http://sosconso.blog.lemonde.fr/2016/05/20/ote-toi-de-mon-soleil

Raphaelle Rivais, journaliste au Monde